Nos Enchanteurs

Valérie Mischler, qui essuie les verres au fond du café

« J’ai rêvé d’un café miteux / De tes mains autour de ma taille / Ton visage enfoui dans mes cheveux / Et nos rires qui livrent bataille… »

Son précédent album, Méli-Mélo de bluettes sur canapé, remonte à il y a dix ans. Une décennie, c’est plus qu’il n’en faut pour que le souvenir s’estompe… Revoici, revoilà Valérie Mischler : nous ne pouvons que nous en réjouir. Durant cinq ans, elle a pris un tout autre chemin, osant créer en milieu rural une auberge-cabaret, belle et généreuse utopie mise à mal entre autres par les confinements… « Et moi, je suis là / Agrippée au zinc / Et qu’est-ce que ça peut faire / Ici ou en enfer / Pour l’enfer j’ai bien l’temps ».

Voici Mischer avec à la fois son nouvel album et la généreuse compilation de ses quatre autres disques, dont les deux consacrés à Bernard Dimey dont elle est une des plus grands interprètes (on retrouve deux titres chantés par elle dans le « Bernard Dimey » de la Collection NosEnchanteurs chez EPM).

Avec aussi un livre, L’Artistôlière, où elle nous narre par le détail, entre humour et désillusions, ce parcours singulier en terres indigènes, le pourquoi et le comment, et comment elle s’en est dégagée*. Avec aussi des anecdotes plus anciennes qui nous éclairent tant sur son passé que sur son parcours artistique.

Des aventures dont elle sort plus Indomptée que jamais : il semble à ce titre que l’intitulé de l’album n’ait pas été long à trouver tant il s’impose d’évidence. Car ce sont les chansons d’une femme libre, de sa tête et de son corps : « Assez traîné / Dans ce purgatoire / Il est temps d’aller au diable / Se faire voir. »

Le discours s’est musclé, non par l’audace qui lui est coutumière mais par cette musique qui ici fait son lit : sans parler de rock, on en prend la chemin et ça dépote de ce décibel si souvent absent des chansons « à textes ».

A son album de 2001, elle reprend le titre-éponyme Pourquoi, toujours aussi prenant dans son tourbillon de questions. Mais c’est quand même son auberge-cabaret, qui souvent revient dans les plages de ce disque, derrière le comptoir ou sur la scène : « Je récit’rai de la poésie / Je f’rai des pamphlets, des caricatures / Je monterai sur scène car dans mon pays / L’art est un fusil, la savoir une armure. »

Le temps est passé et la faune qui entoure Mischler n’est plus celle d’antan. La femme cougar dont elle se targuait sur le précédent album ne semble plus l’être. Elle chasse à présent les vieux beaux, les vieillards aux yeux hagards, le hors d’âge, le vintage : « Laissez, laissez venir à moi / Les rois des croisières Costa ». Si on s’en tient à ses stricts propos, Valérie Mischler a changé. Mais à l’écouter chanter, elle n’a cédé un pouce ni à son talent ni à ses provocations. C’est toujours désirable qu’elle se présente à nous.

Sans aller plus loin à décortiquer ce disque (il y a d’autres titres qui méritent plus que de l’attention), signalons tout de même deux chansons en tout point admirables : L’Homme qui pleure qui ne doit rien à Bernard Haillant mais est toute aussi belle. Et Tu ne rentreras pas, qui nous parle d’un soir au Bataclan, encore qu’on ne le sait qu’au dernier vers, l’ultime rime.

Il nous faut goûter, savourer cette Indomptée pour savoir à quel point la chanson peut être belle. Il nous faut faire une place pour ce CD dans notre discothèque.

Michel Kemper

Précédent
Précédent

This is Riviera

Suivant
Suivant

Le doigt dans l’oeil